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LA FETE
                                                       1 Cochon grillé

C'était vraiment une très belle journée. Le ciel, reflet bleu pâle de l'océan tout proche,  
diffusait une lumière légèrement brumeuse et tamisée. La petite chapelle avec sa 
tour élancée, ses fenêtres rayonnantes et  son portail flamboyant paraissait chaude 
et vaporeuse.
Les dernières bannières de la procession disparaissaient dans le portail. Les fidèles
sortaient par la petite porte, traversaient l'enclos, longeaient la route et sous le soleil
ardent pressaient le pas vers la grande place. On y avait aménagé, à l'ombre des 
arbres centenaires, des longues tables et une estrade où quelques musiciens accordaient  
leurs instruments.
En attendant, deux installations sonores faisaient des galops d'essai. De l'oreille  
gauche on ramassait des Feuilles Mortes à la pelle, remuées par des borborygmes dus  
aux  bouclages de l'installation. 
Une Voix enrouée s'y mêlait en tâchant de compter jusqu'à dix et à chaque coup 
s'arrêtant à quatre ou cinq sur un grincement strident.  
L'oreille droite, elle, était assaillie par un chanteur de charme, qui, oubliant sa
discrétion habituelle, barrissait comme si on le mettait sur le gril.
Or, c'était le cochon qu'on grillait, le fameux cochon, célèbre dans toute la région. 
Le fumet prometteur flottait dans l'air, mêlé aux effluves iodés de l'océan et au parfum 
aigre-doux des ajoncs en fleur. 
En face de l'estrade, à la tête d'une table ombragée, le curé poussait un soupir de
soulagement en exposant son visage transpirant aux caresses de la légère brise venant
du large.  Le marin trapu qui avait porté le grand crucifix lui versait du cidre en disant
-On a eu chaud en marchant-.  
La Voix gueulait un coup, le chanteur de charme  exhalait un dernier soupir et les
Feuilles Mortes cédaient la place aux  sons stridents d'une monotone mélopée
rythmique produite par les musiciens de l'estrade.
Les morceaux se succédaient. Des groupes exécutaient des danses folkloriques. 
 Les filles en robes et coiffes régionales apportaient des apéritifs et des amuse-gueules.
Les bouteilles pleines remplaçaient les vides.
Des convives poussés par les voisins montaient sur l'estrade pour chanter un couplet
ou raconter une blague galante.
 Le curé  disait avec bienveillance à un petit vieux: -Vous n'êtes pas d'ici?-
-Non. Je fais une randonnée et j'ai voulu voir votre fête.-
-Et manger du cochon grillé. Il faut dire que d'habitude il est fameux.-
-Non, c'est l'ambiance, la couleur locale qui m'attire. Je ne mange pas de viande.-
Le paysan qui avait porté une bannière: -Vous êtes végétarien, quoi.-
-Non, je n'aime pas les étiquettes. Il se trouve que je ne mange pas de viande.-
-Enfin, vous êtes végétarien, ou vous n'êtes pas végétarien? Et si vous n'êtes pas  
végétarien, pourquoi vous ne mangez pas de viande?-

                                                      2 Cochon grillé

-Parce que les élevages modernes infligent aux bêtes des souffrances intolérables et 
je refuse d'être complice de ce crime.-
Le curé: -Crime! Comme vous y allez! Il n'y a de crime que contre le Dieu et
l'homme, pas contre les bêtes. Dieu créa les animaux pour que l'homme en profite. 
En les élevant et en mangeant leur chair nous nous conformons à Sa volonté et ne
faisons aucun mal.-
Un jeune homme en jogging: -Mais si, mais si, monsieur le curé. Nous sommes tous 
des hypocrites en commençant par moi. Je suis d'accord avec monsieur, et pourtant
je vais bouffer du cochon. Et, sans vouloir vous froisser, votre assertion est inexacte. 
Sans y croire, je connais la Bible. La Genèse restreint la diète humaine aux plantes. 
Si elle met l'homme au-dessus des bêtes c'est pas comme un prédateur, mais comme 
un roi juste et équitable. Or, un roi juste ne dévore pas ses sujets, mais règne sur eux 
pour leur bien. L'homme de la Genèse est un végétarien sans étiquette,  comme 
monsieur. Manger du cochon est donc un péché contre la Genèse. Mais notre 
hypocrisie se débrouille pour le déguiser en vertu. C'est précisément pour consacrer 
et célébrer cette vertu que nous nous apprêtons à communier par le cochon sacré.-
Le curé au petit vieux: -Notre cher instituteur est connu par ses blasphèmes et sa
langue de vipère, mais ses actes sont vides de venin.-
L'instituteur: -C'est pas difficile, puisque je ne fais jamais rien.- 
Le moment crucial approchait, on allait servir le cochon grillé. L'orchestre s'est tu en
attendant sa récompense bien gagnée. Tout le monde attendait dans un recueillement
silencieux.
Et ce sublime silence a été soudainement troublé par le sourd piétinement des
centaines de sabots contre des tôles résonnantes. C'étaient des cochons entassés dans
la grande bétaillère à deux étages garée sur la route en plein soleil. 
Le paysan: -Commencent à avoir chaud-. 
Le petit vieux: -Et certainement soif. Ou est le chauffeur? On devrait lui demander à
les garer à l'ombre et à leur donner à boire-.
Le paysan, en montrant un grand gaillard assis à une table près de la route: -Pierrot?
Vous pouvez toujours courir. Il sait ce qu'il fait, Pierrot.- 
Le petit vieux: -Vous voulez dire qu'il fait ça exprès, par méchanceté?-
L'instituteur: -Il ne s'agit pas de  méchanceté. Dans notre monde il n'y a plus de place
pour la méchanceté, ni d'ailleurs pour la bonté. Il n'y a que des affaires.-
Le petit vieux: -Des affaires? Quelles affaires empêchent de garer un camion dans
l'ombre?-
L'instituteur: -Vous n'êtes pas d'ici et les finesses du business vous échappent. Pierrot
fait du ramassage pour les abattoirs où se fait le pesage. Chacun de vos porcs boirait  
facilement  5 litres d'eau. Pour 200 porcs il faudrait payer aux éleveurs une tonne de 
flotte au prix du porc. Il s'agit donc de les dessécher au maximum, juste avant de les 
faire crever. Ca pose évidemment des problèmes à la décharge, 

                                                       3 Cochon grillé

car certains ne tiennent  pas débout et il faut les faire avancer à coups de pieds 
et de bâtons.- 
Le paysan: -Pour une sale combine c'est une sale combine. C'est toujours l'éleveur 
qui est baisé.-
L'instituteur: -Que voulez-vous, chacun pour soi. Vous faites pas le poids en face 
des abattoirs, donc c'est vous qui êtes baisé.-   
Le cochon grillé était servi. Et en avant avec la fête! Et la musique remettait ça.
Et les danseurs.  Le piétinement de l'estrade et le piétinement de la bétaillère.
A qui mieux mieux.
On hisse sur l'estrade une petite vieille décrépite qui pose une colle: -Qui entrera
plus facilement au garage, une minuscule deux chevaux ou une grosse Mercedes?-
Une bande de gosses s'amuse à tourmenter les cochons avec des bâtons.
-La Mercedes, car la porte du garage restera fermée pour la petite, mais s'ouvrira 
toute grande pour accueillir la grosse.-
Et l'astuce a percé. Des cris aigus de femmes qui ont compris. Des cris perçants
de cochons à qui on enfonçait des bâtons dans les yeux.
A qui mieux mieux. 
Et la musique remettait ça. On avait de la fête plein les yeux, les oreilles et le ventre!
-Je ne peux pas le supporter-, a dit le petit vieux. Il s'est levé et a traversé la route en  
direction d'un homme qui, devant une villa, lavait sa voiture à l'aide d'un tuyau.  
Il lui a parlé un instant et l'homme en souriant gentiment lui a passé le tuyau. 
Le petit vieux s'est approché de la bétaillère et s'est mis à arroser les cochons.
-Casse toi vieux con !- gueulait le chauffeur en courant. -Barre toi de mon  camion!- 
Et, comme l'autre ne réagissait pas, il l'a étendu par terre d'un coup de poing.
La fête battait son plein.
Le petit vieux restait couché tout plat comme un chiffon dans la flaque d'eau qui  
s'élargissait rapidement.

                                                      4 Semaine Sainte

DIMANCHE
En 1942 300000 personnes ont été envoyés du Ghetto aux chambres à gaz 
de Treblinka. Le 18 April 1943 la décision fut prise de commencer le lendemain
la déportation des 55000 restants. 
ET CE FUT LE DIMANCHE DES RAMEAUX

LUNDI
Le Seigneur monta à Jérusalem afin que son destin s'accomplisse.  

Les travailleurs des fabriques des brosses montèrent sur les toits avec quelques
pistolets et grenades afin que leur destin s'accomplisse. 
Les SS entrèrent en formations serrées battant les pavés d'un pas fort et hautain et 
leurs morts ont couvert les rues.
ET CE FUT LE LUNDI SAINT

MARDI
Toutes les églises retentissaient de la prochaine trahison de Judas.

A la porte de la fabrique des brosses, les SS se retirèrent en laissant une centaine de 
morts. Abandonnant l'idée de combat de rues, ils envoyèrent des émissaires proposant 
la vie sauve aux combattants qui se rendraient. 
Mais les combattants savaient ce que valent les promesses allemandes et répondirent: 
-Nous serons tous tués et c'est logique. Mais notre honneur sera victorieux.-
Alors les Allemands assassinèrent tous les patients de Czyste hôpital. 
Evitant les combattants, ils se retirèrent du Ghetto et commencèrent à le bombarder 
par l'artillerie et les avions.
ET CE FUT LE MARDI SAINT

MERCREDI
Et on continuait dans toutes les églises à maudire et à stigmatiser Judas l'anathème 
qui allait trahir le Seigneur pour trente deniers. Et dans toutes les cathédrales les
évêques célébraient des messes solennelles et consacraient les Saintes Huiles.
   
A cause des échecs subis en combats de rue, les Allemands introduisirent la nouvelle
stratégie: brûler le Ghetto entier, maison par maison, avec des lance-flammes. 
Les gens sautaient des fenêtres embrasées dans la mort. Les débris de verre jonchant 
chaque centimètre des rues se transformaient en colle liquide emprisonnant les   
chaussures et brûlant les pieds. On pouvait à peine respirer dans la fumée. Et les
canons et les avions bombardaient sans cesse cette fournaise.
Et la colonne de fumée noir monta au ciel et fut visible de cinquante kilomètres.
ET CE FUT LE MERCREDI SAINT
                                                       5 Semaine Sainte
JEUDI
Toutes les églises retentissaient de paroles de Paix et d'Espoir: 
"L'Agneau de Dieu immolé sur la Croix, va apporter au monde entier le Salut et la 
Paix de Dieu."
Et on évoquait la consécration des prêtres, des messagers de cette Vérité Divine 
envoyés dans le monde entier pour y prêcher la Paix et l'Amour.

Et des milliers furent brûlés, asphyxiés, ensevelis sous les ruines ou écrasés au sol 
après avoir sauté des fenêtres embrasées. 
Et quelques pompiers chargés de protéger les positions des SS  ont taché d'arroser 
les brûlants de leurs jets.
Et ils étaient abattus sur place.
Et la colonne de fumée noir commençait à s'étendre sur le ciel comme un énorme
champignon.
ET CE FUT LE JEUDI SAINT

VENDREDI
Dans les églises, on parla de Pilate qui se lava les mains en disant:
-Je suis innocent du sang de cet homme; c'est votre affaire.-
Et on  stigmatisait les Juifs qui auraient répondu:
-Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants.-
Et certains prêtres disaient: -Nous sommes témoins de la terrible punition qu'ils
souffrent pour ce crime. Que cela renforce notre foi dans la Justice Divine et dans
l'amour de Celui qui donna sa vie pour nous et qui nous sauve aujourd'hui.-
Mais d'autres disaient: -Prions pour ceux qui souffrent et aidons les quand nous 
pouvons en implorant le Seigneur qu'il détourne de nous de pareilles souffrances,
malgré nos péchés.-
Et certains qui parlaient ainsi furent arrêtés et mis à mort.

Et la fournaise a englobé le Ghetto entier.
Et le champignon noir s'est étendu sur la moitié de l'horizon. 
ET CE FUT LE VENDREDI SAINT

SAMEDI
Dans les églises on parlait de ténèbres qui ont enveloppé la terre quand le Seigneur
est descendu aux Enfers.

Et tout est devenu un four ténébreux.
Et le champignon noir s'est étendu sur l'horizon tout entier.
ET CE FUT LE SAMEDI SAINT




                                                       6 Semaine Sainte

DIMANCHE
Jésus est ressuscité! Halleluiah! Il est vivant! Le jour de joie est arrivé! 
Le Pape accorda au monde, du balcon de Saint-Pierre de Rome, sa grande bénédiction 
"Urbi et Orbi".
Et des foires résonnaient de cette joie dans le monde entier. 
Et certaines étaient si près du mur, que de manèges on voyait  des gens en flammes
sautant dans la mort.  

Et le rapport allemand concluait:
"Le quartier juif de Varsovie cessa d'exister."
Et le champignon noir a envahi la moitié du ciel.  
ET CE FUT LE DIMANCHE DE PAQUES

7000 personnes furent tués aux combats.
600 périrent dans les explosions de leurs bunkers.
30000 furent envoyés au gaz à Treblinka.

                                                      7 La fête
Les cloches carillonnent.  Alleluia! Jésus est ressuscité. Le jour de joie est arrivé. 
La Messe de Pâques, la plus belle et la plus solennelle de l'année se termine.
Sur la place de la gare c'est la foire. Le ventre d'abord. Entre le manège et les voies 
de chemin de fer on a aménagé des longs tréteaux pour boire et casser la croûte. 
Un convoi de wagons de marchandises gardé par des gendarmes attend sur la 
première voie, et derrière lui, à l'horizon, la colonne de fumée noire s'élargissant vers 
le haut à l'instar d'un énorme champignon envahit la moitié du ciel. Il en sort une
espèce de roulement sourd comme un tonnerre grondant au lointain. 
Et la fête vous chahute et vous crève les oreilles. Une grande vague de bruits monte 
du manège. Il crache péniblement sa valse viennoise le manège. C'est la mêlée, 
le boucan, la bacchanale. Voyance, lignes de la main. Horoscopes de l'amour. 
Mât de cocagne. Trois cartes. Par ici messieurs-dames, tentez votre chance. Essayez  
votre adresse. Si le petit cerceau s'enfile sur le bâton, vous partirez avec une poupée.
Mesurez votre force. Poussez un lourd wagonnet  sur les rails montant et revenant
en boucle. Seulement les plus costauds bouclent la boucle et partent avec une médaille.
En tapant avec le gros marteau on fait monter le long d'un mât un poids qui au 
sommet peut frapper une sonnette. Beaucoup essayent, mais le poids ne veut pas
dépasser la mi-mât. Un costaud taillé en lutteur forain tape comme un forcené, mais 
il lui manque un mètre à la sonnette. Un jeune photographe en imperméable serré  
à la ceinture, pas très grand et plutôt maigre, pose son appareil par terre, prend le 
marteau d'une seule main, le fait tourner en souplesse à bout de bras et le laisse tomber 
dans l'élan, sans effort apparent. Le poids monte en flèche et frappe la sonnette. La  
foule éclate de rire. Le costaud furieux s'avance l'air menaçant, mais le jeune homme 
ramasse l'appareil et disparaît derrière le manège. 
Au tréteau une bonne femme bedonnante dévore un sandwich jambon gros comme 
le bras. -Ils font bien de griller la vermine mais c'est dommage qu'ils brûlent les 
maisons-, dit-elle en montrant du doigt la colonne de fumée.
-Ce sont des êtres humains qui brûlent-, dit le curé. -Prions pour eux et pour que 
ce feu ne passe pas par dessus le mur et ne nous consomme pas tous.-   
-Dites donc, curé-, dit un élégant brillantiné. -Les Youpins ne sont pas des humains 
mais des Untermenschen. Seriez-vous leur ami? Et comment ça se fait que depuis 
quelques semaines vous  achetez tant de bouffe pour votre orphelinat? J'ai envie d'y  
jeter un coup d'oeil.- Il s'interrompt pour crier: -C'est verboten de photographier les  
objets militaires.  Donnez moi cet appareil, ou j'avise les gendarmes!-
Le photographe en imperméable beige venait de surgir de la mêlée et de prendre
quelques clichés.
-C'est peut-être verboten pour toi, Figat, mais moi j'ai un passe-partout. Tu veux le
voir?- Sa main droite enfoncée dans la poche de l'imperméable pointe devant lui.
-Et pour l'appareil, faudra que tu viennes le prendre.-
Et Figat, désarçonné: -Comment ça se fait que vous connaissez mon nom?-. 

                                                       8 La fête
-C'est que t'es quelqu'un, Figat. On te connaît bien. Et maintenant on a même ta 
photo. Et quelle photo! Sur le fond du train d'une marchandise spéciale et de la ville 
en fumée. On dirait une photo de famille. Si t'es gentil, je t'en donnerai une épreuve.- 
-Vous me cassez les pieds, je vais rentrer-, dit Figat en se levant.
-C'est ça, t'es mignon, rentre. Et à propos de pieds regarde où tu les mets. 
Ca m'embêterait qu'il t'arrive quelque chose-.
-Marchandise spéciale?-, demande un petit vieux. -Qu'est ce qu'il transporte 
ce train?-.
-Des Youpins-, dit la bonne femme au sandwich. -Voyez pas leur sales gueules?
On dirait des carpes-. 
Derrière les trous d'aération barrés avec des barbelés on devine des visages blafards
haletants comme des poissons hors de l'eau ou lançant des cris inaudibles, étouffés
par le brouhaha de la fête. 
-Ils ont l'air de parler, mais on n'entend rien-, dit le petit vieux.
-Ils parlent pas, ils gueulent-, dit le photographe. -Seulement notre fête étouffe tout.
-De l'eau!- qu'ils gueulent, si ça vous intéresse.-
-Vous ne pouvez pas entendre.-
-Pas besoin d'entendre, c'est la voyante qui m'a mis au parfum. Elle a vu aussi
dans sa boule de cristal qu'ils pataugent jusqu'aux chevilles dans la chaux, qu'ils 
n'ont rien à manger ni à boire et qu'on les entasse au point qu'ils ne peuvent que 
rester debout, même les cadavres. On en décharge, des cadavres, dix, vingt par wagon 
à la destination. Ca leur épargne d'aller au gaz comme les vivants. Pas tous les vivants 
d'ailleurs. Ceux qui n'arrivent plus à marcher on les balance avec les morts sur les 
camions et ils vont directement au four crématoire sans l'inutile formalité d'être tué 
préalablement.-
Et la bonne femme: -Bien fait pour la vermine.-
-Mais madame, comment pouvez-vous, comment ...-, la voix du petit vieux se casse
en une sorte de sanglot.
-Laissez, monsieur, c'est pas la peine de vous mettre dans ces états-, interrompt le
photographe. -Regardez plutôt comme elle est photogénique, madame. Ca ferait une
photo sensationnelle. Cette bouille et ce sandwich sur le fond de ce train. Seulement,
la pellicule se fait rare et si je vous fais une prise ça risque de vous coûter très cher. 
Vous en voulez une?-
-J'en ai rien à fiche de vos photos-.
-Comme nous de vos commentaires. Donc vous n'avez qu'à la fermer.-
Le petit vieux se lève, va remplir d'eau une carafe et fait un pas vers le train.
-N'y allez pas-, dit le photographe. -On ne peut rien pour eux.-
-On peut toujours donner un verre d'eau à qui a soif-.
-Pas dans le train. En y entrant ils ont perdu tout espoir. Certains ont refusé d'y 
entrer.- Le photographe fait un vague geste en direction de la colonne de fumée.       


                                                        9 La fête
-Pour eux on peut faire un peu. Très peu, si peu que ça en devient écoeurant, mais un
peu quand-même. Mais pas pour ceux du train.-
Le petit vieux continue sa démarche et s'approche d'un wagon. Un claquement sec
perdu parmi ceux du stand de tir de la fête qui bat son plein.
Le petit vieux tombe et reste couché tout plat comme un chiffon dans une flaque 
sombre qui s'élargit rapidement.